La Reine Margot ou quand l’Histoire sue en clair-obscur
En 1994, La Reine Margot déboule dans le cinéma français comme un Caravage qui aurait renversé un pot de sang sur un film en costumes BBC.
Fini le patrimoine empesé : ici, on ne regarde pas l’Histoire, on la sent.
Elle a une odeur.
Et parfois, une légère haleine de poison.
Les palais ne sont plus des décors, mais des organismes vivants : ça respire, ça complote, ça transpire. On ne se croirait pas dans un film historique, mais dans un mariage improbable entre Visconti, Pasolini et un musée qui aurait perdu le contrôle de ses statues.
En 1572, la France est en mode tragédie grecque sous stéroïdes.
Le roi est un figurant de sa propre monarchie, Catherine de Médicis règne comme une déesse froide, et Margot—Isabelle Adjani, beauté quasi métaphysique—est mariée à Henri de Navarre (Daniel Auteuil) pour faire la paix.
Traduction : scotcher un pansement doré sur une plaie en gangrène.
Quand survient la Saint-Barthélemy, le film bascule en peinture vivante. Ce n’est plus du cinéma, c’est une salle du Louvre qui aurait pris feu.
Les corps chutent avec la noblesse du Laocoon, les visages sont sculptés par la lumière comme des marbres baroques, et Patrice Chéreau filme tout cela comme s’il dirigeait un opéra de chair.
Le sang n’est pas un effet : c’est un pigment.
Et quel musée humain.
Isabelle Adjani est sidérante : une Margot à mi-chemin entre tragédienne racinienne et créature baroque. Ses scènes les plus scandaleuses sont jouées avec une telle intelligence plastique qu’on n’est jamais dans le voyeurisme mais dans une sorte de performance d’art contemporain avant l’heure.
Daniel Auteuil donne à Henri de Navarre un mélange parfait d’instinct animal et de survie politique.
Jean-Hugues Anglade, Pascal Greggory, Johan Leysen, Julien Rassam et Thomas Kretschmann ressemblent à une galerie de bustes romains légèrement détraqués : chacun a une tête faite pour la trahison de luxe.
Vincent Perez, en La Môle, joue l’amant comme on joue un personnage de Stendhal sous valium baroque : fragile, brûlant, sublime.
Et puis il y a Virna Lisi, Catherine de Médicis en reine de glace : un mélange de Machiavelli, de Médée et de directrice des ressources humaines de l’Apocalypse. Son prix à Cannes tient moins de la récompense que du constat scientifique.
Asia Argento, en Charlotte de Sauve, ajoute une note de tragédie façon tableau préraphaélite : belle, fatale, déjà fantôme.
Visuellement, le film est un festin d’Histoire de l’art :
Philippe Rousselot éclaire les scènes comme si Le Caravage avait investi une école de cinéma.
Goran Bregović compose une musique qui ressemble à un cœur baroque sous amphétamines.
Moidele Bickel habille tout ce monde comme si Balenciaga avait collaboré avec l’Inquisition.
Le résultat : un objet filmique non identifié, cousin de Barry Lyndon, de Elizabeth et des grandes fresques shakespeariennes revisitées par un metteur en scène qui aime la chair, la sueur et les vérités qui piquent.
Et aujourd’hui, miracle laïque : La Reine Margot revient dans les cinémas français en version restaurée, image et son rutilants.
Non pas un simple ravalement de façade, mais une véritable restauration de fresque, comme quand on enlève trois siècles de crasse à une chapelle Sixtine version gothique.
Bref : c’est de l’Histoire.
De l’Art.
Et beaucoup de sueur.
Par Giulia Dobre
Paris, le 7 decembre 2025.
https://youtu.be/HIBfX5D1Um4?si=NmpV6wvnTos6WHSz
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