8.12.25

UN POÈTE — Poésie colombienne, alcool & autres produits nettoyants

 UN POÈTE — L’homme qui se prit pour un poème



Il existe des films qui commencent comme un lever de soleil,
d’autres comme un coup de poing,
et puis il y a ceux — comme Un Poeta — qui s’ouvrent comme une voiture neuve sortant d’un tunnel de lavage labyrinthique et délirant.
Tout scintille.
Tout ruisselle.
Tout semble fraîchement récuré, même si le conducteur, lui, est en morceaux.

Óscar — interprété avec une bravoure fragile par Ubeimar Ríos — fut autrefois poète.

Ou du moins, il publia jadis deux livres qui portaient encore l’odeur lointaine de la reconnaissance.

Aujourd’hui, quinquagénaire rejeté sur le rivage de la maison maternelle comme une marée survivante, il s’agrippe à son identité avec le désespoir de celui qui tient le seul parapluie dans une tempête indifférente.

Son insistance — « Un Poeta ! » — résonne comme une plaisanterie tragique, à mi-chemin entre les rêveurs égarés de Fellini, les doux naufragés de Kaurismäki et les héros solipsistes de Charlie Kaufman qui croient que l’univers n’est qu’un théâtre construit pour leur souffrance.

Mais c’est là que le scénario et les acteurs accomplissent leur miracle : chaque fois qu’Óscar glisse vers le mélodrame, le film lui donne une pichenette légère sur le front, avec humour.

Chaque désespoir reçoit l’écho d’un geste ridicule ;

chaque tragédie, un col de chemise de travers ou une métaphore mal choisie.

C’est comme si la caméra elle-même levait un sourcil.


La comédie d’un homme qui a oublié de grandir

Óscar nous est présenté comme un homme en désalignement permanent — cheveux en rébellion, dents en protestation, chemises qui semblent avoir fui un bac de soldes lors d’une émeute discrète.

Il parle de poésie comme d’autres parlent de religion — les yeux levés vers un ventilateur céleste, la voix chargée du poids sacré des syllabes.

La scène d’ouverture, où il se jette sur le lit de sa mère en criant qu’il ne sait rien faire d’autre qu’écrire des poèmes, relève du pur opéra tragicomique. Une scène qu’on pourrait diffuser au ralenti, accompagnée de Puccini — si seulement son unique spectatrice n’était pas sa mère épuisée… et nous, déjà en train d’étouffer un rire.

Simón Mesa Soto, pour son second long métrage, manie le ton comme un violoniste manie l’archet.

La transition du dramatique à l’absurde est si fluide qu’elle évoque Buñuel, Roy Andersson et parfois la compassion espiègle des premiers Almodóvar. Chaque situation abrite une blague qui tremble sous sa tragédie.

Óscar, versant de l’alcool dans son thermos avant un cours, devient une métaphore ambulante : un homme tentant de désinfecter sa journée avec son antiseptique personnel.

Ses monologues aux élèves — mi-philosophie, mi-nonsense — sont à la fois hilarants et déchirants. On rit, mais avec l’inconfort de se dire qu’un jour, nous pourrions lui ressembler.


L’étincelle nommée Yurlady

Puis arrive Yurlady — quinze ans, talentueuse, lumineuse.
Une poète déguisée en adolescente.
Une étincelle dans l’univers rassis d’Óscar.

Sa présence ressemble à un retournement de troisième acte dans un film de Truffaut, une bourrasque de vie dans une pièce où il y a trop peu de fenêtres.

Óscar, soudain réveillé, se remet à briller — fraîchement rincé, comme cette voiture quittant le tunnel de lavage, phares étincelants de l’illusion que tout est encore possible.

Il entrevoit une mission. Un destin.
Faire de Yurlady une grande poète.
Se ressusciter à travers son talent.

Mais, tel un personnage d’une comédie des frères Coen, les nobles intentions d’Óscar sombrent dans le chaos.

Il trébuche.

Il comprend de travers.

Il pousse là où il devrait écouter.

La situation se déplie en scènes d’absurdité délicieuse, comme si le destin était monté par un monteur malicieux amateur de jump cuts.

Ses pairs littéraires le rejettent.
Il supplie un libraire de ressusciter ses ouvrages oubliés.
Il tempête contre le monde comme s’il s’agissait d’une strophe mal écrite.


Un poème de classe, d’ego et de rêves fragiles

Et soudain, le film s’élargit.
Il devient fresque.

L’appartement surpeuplé de Yurlady, vibrant de vie, devient un univers parallèle. Un endroit où la poésie n’est pas une crise de carrière mais un luxe que personne n’a demandé. Ici, le film gagne en acuité sociale sans perdre son élégance absurde.

Le scénario navigue ces contradictions avec la grâce d’un funambule.
Nous comprenons chacune des erreurs d’Óscar.
Nous voyons venir chaque catastrophe.
Nous le regardons s’y précipiter quand même —
un Don Quichotte sans cheval,
tiltant contre des moulins faits de papier et de vers à moitié oubliés.


Conclusion : un film sur la beauté ridicule du désir

Un Poeta est, au fond, l’histoire d’un homme qui veut trop et trop peu à la fois.
Un film qui rit de sa propre tristesse.
Un poème déguisé en comédie déguisée en tragédie.
La chronique d’un homme que le monde lave, fait briller une seconde, puis recouvre de boue avant le générique.

C’est drôle, tendre, cruel, magnifiquement joué, superbement écrit —
et comme tout grand film sur les rêveurs fracassés,
il vous laisse vous demander si un poète est quelqu’un qui écrit des vers,
ou simplement quelqu’un qui refuse d’arrêter de rêver,
même quand le tunnel de lavage se referme déjà derrière lui.

Par Giulia Dobre
17 novembre 2025
Paris

7.12.25

1 Decembrie 2025 – Subcarpați la Odeon: când Parisul a dansat românește

 

1 Decembrie 2025 – Subcarpați la Odeon: când Parisul a dansat românește


Pe 1 Decembrie 2025, Subcarpați au transformat Teatrul Odeon din Paris, templul culturii europene, într-un univers paralel în care timpul și spațiul s-au topit ca ceara unei lumânări aprinse de Caravaggio. 

Dacă cineva ar fi pictat acea seară, probabil că ar fi combinat clar-obscurul lui Caravaggio cu dramatismul sculpturii Laocoon: trupuri tensionate, brațe ridicate spre cer, inimi care se frământă și se deschid sub ritmuri ancestrale.

Eu, venetica prin fire și cu pașaport francez în buzunar, m-am trezit pentru prima dată cu sufletul înmuiat într-o căldură neașteptată, ca o mămăligă a emoției, servită fierbinte în inimile francezilor curioși și ale românilor nostalgici. 

Am simțit că, de fapt, nu exilul geografic contează, ci exilul interior — iar acolo, în Odeon, pentru câteva ore, eram acasă.

Sunetele aduse pe scenă erau o geografie muzicală a României, ca și cum Amintiri din Epoca de Aur s-ar fi întâlnit cu un beat urban, iar folclorul ar fi făcut un cameo în The Grand Budapest Hotel

Munți și dealuri, câmpii și ape, caval, tambal, tobe, synth-uri: fiecare notă era o navă care te transporta prin vremuri și spații diferite, prin sate, orașe, piețe și săli de dans imaginare.

Și publicul… oh, publicul!

  Trei etaje întregi de suflete vii, de români, de jumătăți de români și de francezi cu spirit curios, care au uitat de ordine și etichetă. 

Am cântat și am dansat, am râs și am plâns, transformând Odeonul într-un mare horă verticală, un fel de bal mascat unde fiecare participant era simultan actor, spectator și dansator.

Iar pe scenă, oamenii care făceau muzica să fie mai mult decât muzică:
Bean, șaman urban și povestitor de mituri;
AFO și Radu Pieloi, arhitecți de vibrații și punți între lumi;
Valentin Mușat și Ioana Milculeșcu, lumini vii care pătrund printre umbrele teatrului;
Matei Vasilescu la țambal, care deschide porțile între trecut și prezent cu fiecare ciupitură;
Gabi Groza la caval, care aducea aerul Carpaților printre coloanele Odeonului;
Beniamin Ambarus la dobă și backing vocal, pulsul emoției pure, ritmul inimii colective.

Nu a fost doar un concert. 

Nu a fost doar un spectacol. 

A fost o expresie colectivă de terapie prin emoție, un ritual al bucuriei și al curățării interioare.

 Fiecare notă, fiecare respirație, fiecare pas de dans te spăla pe interior, te înălța și te făcea să simți că ești parte dintr-o poveste mai mare decât tine.

La un moment dat, am avut senzația că Laocoon însuși privea scena de sus, cu brațele întinse și mușchii încordați, în timp ce Caravaggio ajusta lumina, și fiecare român prezent era o mică figură sculptată în acel tablou viu, fiecare francez o oglindă care reflecta pulsul românesc.

Și când am plecat, la final, am realizat că acasă nu este neapărat un loc, ci un moment, un sunet, un dans, o energie care te cuprinde. 

Acea seară de 1 Decembrie 2025 a fost acasă.

 În Odeon. 

Cu Subcarpați. 

Cu caval, tambal și tobe. 

Cu râs, cu lacrimi, cu suflete deschise și pași care nu voiau să se oprească.

Parisul a dansat românește. Și eu am dansat cu el.


De Giulia Dobre

Paris

Decembrie 4, 2025











La Reine Margot : la soie, la chair et le couteau

 La Reine Margot ou quand l’Histoire sue en clair-obscur



En 1994, La Reine Margot déboule dans le cinéma français comme un Caravage qui aurait renversé un pot de sang sur un film en costumes BBC. 

Fini le patrimoine empesé : ici, on ne regarde pas l’Histoire, on la sent. 

Elle a une odeur. 

Et parfois, une légère haleine de poison.

Les palais ne sont plus des décors, mais des organismes vivants : ça respire, ça complote, ça transpire. On ne se croirait pas dans un film historique, mais dans un mariage improbable entre Visconti, Pasolini et un musée qui aurait perdu le contrôle de ses statues.

En 1572, la France est en mode tragédie grecque sous stéroïdes.

Le roi est un figurant de sa propre monarchie, Catherine de Médicis règne comme une déesse froide, et Margot—Isabelle Adjani, beauté quasi métaphysique—est mariée à Henri de Navarre (Daniel Auteuil) pour faire la paix. 

Traduction : scotcher un pansement doré sur une plaie en gangrène.


Quand survient la Saint-Barthélemy, le film bascule en peinture vivante. 

Ce n’est plus du cinéma, c’est une salle du Louvre qui aurait pris feu. 

Les corps chutent avec la noblesse du Laocoon, les visages sont sculptés par la lumière comme des marbres baroques, et Patrice Chéreau filme tout cela comme s’il dirigeait un opéra de chair. 

Le sang n’est pas un effet : c’est un pigment.

Et quel musée humain.



Isabelle Adjani est sidérante : une Margot à mi-chemin entre tragédienne racinienne et créature baroque. Ses scènes les plus scandaleuses sont jouées avec une telle intelligence plastique qu’on n’est jamais dans le voyeurisme mais dans une sorte de performance d’art contemporain avant l’heure.

Daniel Auteuil donne à Henri de Navarre un mélange parfait d’instinct animal et de survie politique.

Jean-Hugues Anglade
, Pascal Greggory, Johan Leysen, Julien Rassam et Thomas Kretschmann ressemblent à une galerie de bustes romains légèrement détraqués : chacun a une tête faite pour la trahison de luxe.




Vincent Perez, en La Môle, joue l’amant comme on joue un personnage de Stendhal sous valium baroque : fragile, brûlant, sublime.



Et puis il y a Virna Lisi, Catherine de Médicis en reine de glace : un mélange de Machiavelli, de Médée et de directrice des ressources humaines de l’Apocalypse. Son prix à Cannes tient moins de la récompense que du constat scientifique.


Asia Argento, en Charlotte de Sauve, ajoute une note de tragédie façon tableau préraphaélite : belle, fatale, déjà fantôme.



Visuellement, le film est un festin d’Histoire de l’art :
Philippe Rousselot éclaire les scènes comme si Le Caravage avait investi une école de cinéma.

Goran Bregović compose une musique qui ressemble à un cœur baroque sous amphétamines.

Moidele Bickel habille tout ce monde comme si Balenciaga avait collaboré avec l’Inquisition.


Le résultat : un objet filmique non identifié, cousin de Barry Lyndon, de Elizabeth et des grandes fresques shakespeariennes revisitées par un metteur en scène qui aime la chair, la sueur et les vérités qui piquent.

Et aujourd’hui, miracle laïque : La Reine Margot revient dans les cinémas français en version restaurée, image et son rutilants. 

Non pas un simple ravalement de façade, mais une véritable restauration de fresque, comme quand on enlève trois siècles de crasse à une chapelle Sixtine version gothique.

Bref : c’est de l’Histoire.
De l’Art.
Et beaucoup de sueur.

Par Giulia Dobre
Paris, le 7 decembre 2025.

https://youtu.be/HIBfX5D1Um4?si=NmpV6wvnTos6WHSz