27.11.25

Quand Une Mouette à la Comédie-Française dévore le soleil et moi avec

 


Une Mouette à la Comédie-Française : 

opéra d’ego, tempête d’âmes, miracle noir

Chronique en feu pour un spectacle qui m’a laissé en cendres fumantes




Je sors de Une Mouette à la Comédie-Française comme on sort d’un typhon : décoiffée, transpercée, rincée… et pourtant étrangement heureuse. 

Oui, je le déclare haut, fort et avec une petite larme au coin de l’œil : c’est le spectacle le plus exténuant, happant et émouvant que j’aie vu de ma vie. On en ressort avec l’impression d’avoir vécu non pas 2h30 de théâtre, mais une réincarnation express.

Elsa Granat, armée de Tchekhov, fonce tête baissée dans l’humanité et ses zones marécageuses. Elle en fait une sorte de rituel vaudou émotionnel où les ego s’entre-dévorent à la petite cuillère. Plus personne ne respire. Et toi non plus. On est embarqué dans un tourbillon qui ressemble à un groupe de thérapie… si la thérapie était dirigée par un volcan.

Un opéra du mal-être (mais en plus fun que ça en a l’air)

Ici, Tchekhov n’est pas juste contemporain : il est carrément radioactif.
Les personnages se regardent dans des miroirs déformants où ne brille qu’une chose : leur propre nombril, en 8K HDR.

  • Arkadina (Marina Hands, INCANDESCENTE, incandescentifiée, incandescente+++) joue la vanité comme on joue d’un instrument, avec un plaisir presque obscène.

  • Trigorine (Loïc Corbery), c’est le type qui soupire sur son génie perdu, mais sans oublier de séduire au passage.

  • Tréplev (Julien Frison) brûle d’inventer un nouveau théâtre, mais semble surtout avoir inventé un nouveau mode de mal-être.

  • Nina (Adeline d’Hermy) court vers l’art comme d’autres courent vers un précipice.

Tout le monde parle. Personne ne s’écoute.
C’est à se demander si on n’assiste pas à la première pièce entièrement composée d’appels Zoom où chacun a coupé le micro des autres.

Et soudain, Dorn : la respiration humaine au milieu du vif-argent

Heureusement, surgit Dorn (Nicolas Lormeau), ce médecin doux comme un nuage, qui parvient à être humain dans un environnement où tout le monde hurle intérieurement.
Il écoute.
Il comprend.
Il ne juge pas.
Franchement, la première figure d’altruisme depuis des semaines dans un théâtre.
Dans ce chaos émotionnel, il est la tisane dans un monde de doubles expressos.

Elsa Granat : metteur en scène ou chirurgienne a cœur ouvert?

Avec son prologue sur l’enfance, sa scénographie de rêve déchiré, ses lumières crues, Elsa Granat ne met pas seulement en scène : elle ouvre la pièce comme un coffre à secrets et expose tout au soleil.
Certains crient au génie.
D’autres crient tout court.
Mais personne ne reste indifférent.

On plonge dans un univers où les femmes — Arkadina, Nina, Macha — deviennent les archéologues de leurs propres passions, fouillant leurs tripes comme on cherche un trésor qui n’existe peut-être pas.
Les hommes ? On ne sait pas s’ils sont veules, perdus, attachants ou juste… dépassés.
Probablement tout ça à la fois.

Le théâtre mis à nu (et nous avec)

Ce que réussit Una Mouette, c’est une magie rare :
elle nous tend un miroir qui n’est pas aimable, mais dont on ne peut pas détourner les yeux.
Elle montre ce qu’on fait tous quand on croit aimer, créer, exister : on se débat avec notre ego comme un chat avec une balle de laine.
On se fatigue.
On s’égare.
On recommence.

Granat nous dit :
Il reste la possibilité de Dorn. La possibilité de l’autre.
Et franchement, après 2h30 de montagnes russes émotionnelles, je prends.

En résumé :  attachez votre ceinture.

Cette Mouette n’est pas sage.
Elle n’est pas confortable.
Elle n’est pas polie.

Elle est vivante.
Brûlante.
Et elle mord.

C’est une expérience totale : un spectacle qui vous aspire la moelle épinière, la secoue, puis vous la rend — transformée.

Je ne sais pas si cette Mouette finira (selon la belle formule tchékhovienne) par prendre son envol.

Mais moi, je sais qu’elle m’a littéralement soufflee.

Tu crois connaître Tchekhov ?

Tu ne connais rien.


Granat te secoue comme un shaker à cocktail et quand elle te repose, tu es devenu quelqu’un d’autre.

Cette Mouette ne prend pas son envol.
Elle t'arrache au sol, te secoue à 300 km/h, puis te relâche dans la salle Richelieu comme un sac de coton trempé.

Je suis brisée.
Je suis heureuse.
J’y retourne.


Par Giulia Dobre

Paris, Novembre 2025.

https://youtu.be/LeQ_YrSHAmc


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