7.5.25

Que cojones tienes

 

                                 Que cojones tienes

There's much to say about “Tardes de Soledad”.

Albert Serra proposes a documentary without voiceover, where he directly shows the reality of bullfighting, while occasionally dramatizing or poeticizing it through the addition of orchestral notes that echo Visconti's "Morte a Venezia."

Both on the arena, and in the star's luxurious life.


The first setting gives rise to a multitude of powerful shots tracking the bullfighter and the beast.

The life of the bullfighter is systematically filmed in static shots and is particularly valuable for the post-bullfight commentary. A few very different scenes breathe new life into the whole, showing other aspects of what goes on behind the scenes.

Serra doesn't take sides.

If you embrace the cultural practice of bullfighting, you'll appreciate the bullfighter's mastery; If you radically reject this practice, you will be comforted by the dozens of shots of bulls being manhandled, disoriented, ridiculed, insulted, tortured, finished off, and then dragged unceremoniously to the ground.

By its very design, the film is highly repetitive.

But you have to accept it.

Because this is Albert Serra, a radical filmmaker.

It's reinvigorated by a host of micro-variations from one bout to the next.

It's heightened by the risks taken in the arena.

It's subtly scripted.

The filmmaker makes every effort to keep the viewer waiting for confirmation.

The viewer, whether connoisseur or not, remains interested in the idea of ​​spending two hours discovering that.

The whole thing is extremely ritualized, like a religious ceremony.

We guess that superstition dictates most of the ceremonial attire, the way to close a hotel door (which we may never see again...), the handling of a silver goblet with which he quenches his thirst.

The whole thing also has a lot to do with sports (a very questionable sport, admittedly...), as we spend these two hours as if we were watching a rare sport on the small screen (billiards, curling, cricket, etc.).

Of course, the film relies heavily on the fascinating bullfighter Andrés Roca Rey.

In this world of over-testosteroned men, where they spend their time encouraging and congratulating each other against a backdrop of absolute vulgarity, Roca alternately takes on the appearance of a big child, a seducer, a woman, a competitor, a star, a guru, a raving lunatic, etc.

The film's intentional and undeniable length leads us to spend considerable time with him, to the point of having the illusion of a deep familiarity.

The faces and attitudes of his acolytes also prove very striking.

We witness a unique prism on the world of bullfighting, approached in a factual, raw, and crude manner, in the arena and behind the scenes.

With no intention of glorifying or condemning, no lyricism or overt irony, Albert Serra gives us a glimpse and a sound, as close as possible to the men and the bulls (those masses of muscles harassed and put to death), as close as possible to the gestures and facial expressions, the blank or intense stares, the trivial or vulgar words, as close as possible to the breath, the sweat, the blood, and the death in the animals' eyes.

Tight shots and microphones.

No overall view of the show or the spectators.

No voiceover.

And so, there's no substantial debate (everyone, depending on their beliefs, will find what is shown noble or ridiculous, beautiful or monstrous), even if certain situations clearly don't flatter the protagonists (the bullfighter like a narcissistic prince in the midst of a court adept at flattery).

This film is above all a remarkable visual and audio experience, immersive, attentive to the details of a hyper-codified and ritualized universe, operating in a vacuum.

The film cultivates paradoxes between the refinement of the outfits and the violence of the acts, between an assertive virility and an obvious homoeroticism...

TARDES DE SOLEDAD is violent because of what it shows on the bull, but also because of what R.R. experiences, and this is very rarely narrated in Cinema.

Furthermore, the film highlights R.R.'s feelings: enormous anxiety and absolute fear at the stake, an indecipherable altered state when he's in the minibus or in his hotel room. He seems almost stoned.

 We emerge from this with the strange and contradictory impression of a scandalous cultural practice that amounts to animal torture, while remaining a quasi-mystical rite whose tradition should be preserved.

And we also emerge from this with confirmation of Albert Serra's talent, which we hope to see continue and be confirmed in future fiction films.

 

Giulia Dobre

April 2025


Qué cojones tienes


Albert Serra nous entraîne ici sur le terrain du documentaire sans commentaires en voix off, ou il montre frontalement la réalité de la corrida, tout en la dramatisant ou la poétisant ponctuellement par l'ajout de notes d'orchestre qui font écho a «  Morte a Venezia » de Visconti.

Et ce, principalement dans deux circonstances : l’arène, et le luxueux bus de la star.

La première donne lieu à la démultiplication de plans puissants traquant le torero et la bête.

La seconde est systématiquement filmée en plan fixe et vaut beaucoup par les commentaires d'après-corrida. Quelques scènes très différentes font respirer l'ensemble, en montrant d'autres aspects des coulisses.
Serra ne prend pas parti.

Si vous adhérez à la pratique culturelle de la corrida, vous apprécierez la maestria du torero ; si vous rejetez radicalement cette pratique, vous serez conforté par les dizaines de plans de taureaux malmenés, désorientés, ridiculisés, insultés, martyrisés, achevés puis trainés au sol sans aucun ménagement.
Par son dispositif même, le film est très répétitif.

Mais il faut l'accepter ainsi.

Car c’est du Albert Serra, cinéaste radical.

C'est redynamisé par quantité de micro-variations d'une joute à l'autre.

C'est mis en tension par les risques pris dans l'arène. C'est subtilement scénarisé. spoiler: 
Le cineaste deploie tous les efforts pour la mise en attente du spectateur qui en veut confirmation.

Le spectateur, connaisseur ou pas, demeure intéressé par l'idée de passer deux heures à la découvrir.

 L'ensemble est extrêmement ritualisé, à l'image d'une cérémonie religieuse.

On devine que la superstition dicte l'essentiel du cérémonial de la tenue, la façon de fermer une porte de chambre d'hôtel (qu'on ne reverra peut-être plus...), la manipulation d'un gobelet d'argent avec lequel on se désaltère.

L'ensemble a aussi beaucoup à voir avec le sport (sport très contestable, certes...) et on passe ces deux heures comme on le ferait face à une compétition d'un sport rare sur le petit écran (billard, curling, cricket, etc.).

Évidemment, le film repose très largement sur le torero Andrés Roca Rey, fascinant.

Dans ce monde d'hommes sur-testostéronnés, où l'on passe son temps à s'encourager et se féliciter sur fond d'absolue vulgarité, il prend tour à tour des allures de grand enfant, de séducteur, de femme, de compétiteur, de star, de gourou, de fou furieux, etc. etc.

Les longueurs volontaires et indéniables du film nous amènent à passer un temps considérable à ses côtés, jusqu'à avoir l'illusion d'entretenir avec lui une profonde familiarité.

Les visages et attitudes de ses acolytes s'avèrent aussi très prégnants.

On assiste a un prisme singulier sur le monde de la corrida, abordé de manière factuelle, brute, crue, dans l'arène et en coulisses.

Sans volonté de glorifier ni de condamner, sans lyrisme ni ironie manifeste, Albert Serra donne à voir et à entendre, au plus près des hommes et des taureaux (ces masses de muscles harcelées et mises à mort), au plus près des gestes et mimiques, des regards vides ou intenses, des mots triviaux ou vulgaires, au plus près du souffle, de la sueur, du sang et de la mort dans les yeux des animaux. 

Plans et micros serrés.

Pas de vision globale du spectacle et des spectateurs.

Pas de discours en voix off.

Et donc pas de débat de fond (chacun, selon ses convictions, trouvera ce qui est montré noble ou ridicule, beau ou monstrueux), même si certaines situations ne flattent clairement pas les protagonistes (le torero tel un prince narcissique au milieu d'une cour experte en flagornerie).


Ce film est avant tout une remarquable expérience visuelle et sonore, immersive, attentive aux détails d'un univers hyper codifié et ritualisé, fonctionnant en vase clos.

Le film cultive des paradoxes entre le raffinement des tenues et la violence des actes, entre un virilisme affirmé et un homoérotisme évident...

TARDES DE SOLEDAD est violent par ce qu'il montre sur le taureau, mais aussi par ce que R.R. subit, et cela est très rarement narré.

En outre le film 

met en évidence les sentiments de R.R., énorme angoisse et peur absolue à la mise à mort, état second indéchiffrable quand il est dans le mini bus ou dans sa chambre d'hôtel. Il semble presque stoned.



On ressort de là avec l'étrange et contradictoire impression d'une pratique culturelle scandaleuse qui relève de la torture animale, tout en étant un rite quasi-mystique dont il faudrait préserver la tradition.

Et on ressort de là aussi avec la confirmation du talent d'Albert Serra qu'on espère voir se prolonger et se confirmer dans de prochains films de fiction.




 Giulia Dobre

April 2025